Erika Farías Peña, la maire de Caracas, lors d’une manifestation populaire, le 30 avril.
Chers amis, chères amies,

Salutations du bureau the Tricontinental: Institut de recherche sociale.

L’oligarchie a l’habitude de se réfugier dans un camp militaire et de demander aux généraux d’agir en leur nom. C’est ce que Juan Guaidó et Leopoldo López ont fait le mardi matin, le dernier jour d’avril. López a fui l’assignation à résidence pour rejoindre Guaidó à proximité de la base militaire de Carlota à Caracas (Venezuela). Ce n’est pas la première tentative de coup d’État militaire, la direction politique de l’oligarchie suppliant les hommes en vert de mettre de côté la Constitution. Roberto Micheletti s’est rendu au palais présidentiel hondurien de Tegucigalpa en 2009 sur le dos d’un char. Les oligarchies thaïlandaises et pakistanaises ont également supplié récemment l’armée de destituer un chef de gouvernement élu et de créer des conseils de paix et d’ordre, des mots qui sont vidés de leur sens dans ce contexte.

Trois hommes seuls sur un pont près de La Carlota, comme des garçons jouant avec le destin de leur nation.
À la fin de la journée, la tentative de coup d’État s’est évanouie. Dans les rues de Caracas, le fait que tout l’establishment américain – du président aux sénateurs – ait applaudi Guaidó et demandé ouvertement aux militaires de se mutiner n’a guère aidé. Les quelques soldats qui ont franchi la ligne – les brassards bleus – se sont précipités à l’ambassade du Brésil pour demander l’asile. Leopoldo López, qui a quitté son domicile pour cette aventure, s’est précipité à l’ambassade du Chili. López, Guaidó et Edgar Zambrano se sont rencontrés sur un pont près de la base militaire, châtiés par le manque de soutien, leur bravade dégonflée, le sort de la nation dans les mains des autres.

À la tombée de la nuit, il était clair que le coup d’État – l’une des nombreuses tentatives au Venezuela – avait échoué. Et ce, malgré l’appui manifeste des États-Unis et du Groupe de Lima, créé en 2017 pour renverser le gouvernement vénézuélien, à Guaidó. Ce qui a empêché le coup d’État – malgré les conditions difficiles au sein de la société vénézuélienne – c’est la mobilisation massive dans les rues. Je me souviens d’avoir vu certains de ces rassemblements plus tôt cette année, le peuple déterminé à protéger la souveraineté de son pays, déterminé à permettre au processus bolivarien de trébucher contre toute attente. C’est ce qui continue d’empêcher – pour l’instant (comme dirait Chávez) – la victoire de l’oligarchie et de ses partisans extérieurs.

Le Groupe de Lima comprend la plupart des forces politiques latino-américaines de droite. Mais il a un membre inhabituel, un qui a été à l’avant-garde de ses efforts – le Canada. Pourquoi le Canada, par ailleurs si soucieux de mettre de l’avant un visage de libéralisme et de décence, est-il à la tête de la tentative de renverser un gouvernement par la force ?

Un examen attentif du gouvernement du Canada et de ses intérêts commerciaux révèle quelque chose de tout à fait différent du libéralisme désinvolte de sa réputation. En 2017, trois professeurs canadiens – Shin Imai, Leah Gardner et Sarah Weinberger – ont publié une étude intitulée The ‘Canada Brand’: Violence and Canadian Mining Companies in Latin America. Ils montrent qu’entre 2000 et 2015, au moins 44 personnes ont été tuées à la suite d’actes de violence commis autour de mines appartenant à des Canadiens en Amérique latine. Les histoires sont effrayantes, la routine de la violence et mortelles.

Marcelo Rivera, San Isidro, El Salvador.
L’un d’entre eux concerne la mort de Marcelo Rivera, un militant anti-mines de San Isidro (El Salvador) assassiné le 18 juin 2009, son corps jeté dans un puits, ses ongles et ses cheveux arrachés, sa trachée cassée, son pouce fixé dans sa bouche, son corps accroupi. Marcelo, un membre du FMLN, s’était opposé à la mine appartenant à la société Pacific Rim de Vancouver parce qu’il craignait pour l’environnement dévasté qu’elle allait causer. Son opposition a été étouffée.

Il existe une très forte corrélation entre les terres que veulent les sociétés minières et celles qui sont contrôlées par les communautés autochtones. C’est le cas du Chili au Guatemala, du Canada lui-même à la Papouasie-Nouvelle-Guinée. La Cameco du Canada, la plus grande société d’uranium au monde, commencera à exploiter des mines sur les terres de la communauté Tijwarl – un peuple aborigène de l’Australie-Occidentale. Les protestations n’ont pas éveillé l’opinion publique australienne aux dangers qui pèsent sur la communauté tijwarl, et cela n’a pas empêché le gouvernement australien d’agir. Ils sont déterminés à exploiter leur mine à des fins lucratives. Vicky Abdullah, une dirigeante Tijwarl, nous dit (dans la vidéo ci-dessous) que la mine va ruiner la’terre mère’.

La situation à Tijwarl, en Australie.
C’est un écho du concept andin de pachamama, la terre mère, un écho de l’idée des  » droits de la terre mère  » qui est si importante pour les mouvements indigènes internationaux d’un bout à l’autre de la planète. C’est un écho direct du Mother Earth Accord signé par les chefs des Premières nations du Canada avec toutes les parties concernées par la question du pipeline de TransCanada. L’histoire des Premières nations est une histoire de dénigrement et de trahison. Le livre de Nick Estes, Our History is the Future, raconte avec lyrisme l’histoire de la lutte de Standing Rock aux États-Unis, une lutte qui se déroule au centre des communautés indigènes de la planète.
Si vous examinez attentivement les données, comme l’ont fait nos chercheurs de Tricontinental : Institut de recherche sociale, vous constaterez que 60 % des sociétés minières du monde sont établies au Canada et que la plupart des scandales entourant les terres autochtones sont liés à des sociétés minières canadiennes ou australiennes. Au cours des dernières décennies, la longue et négative histoire du Canada à l’égard des Premières nations en territoire canadien s’est répandue dans l’hémisphère américain et ailleurs. Dans notre première briefing 10 Canadian Mining Companies: Financial Details and Violations, 10 sociétés minières canadiennes : Détails financiers et violations, nous documentons les dix plus importantes compagnies minières canadiennes (traductions espagnole et portugaise à venir). Chaque entrée, d’une page seulement, donne une idée de la taille de l’entreprise et de l’un de ses scandales les plus importants. Collectivement, écrivons-nous, les sociétés minières canadiennes font preuve d’une indifférence dépravée à l’égard de la vie humaine. Et cette indifférence est considérée comme un effet secondaire naturel ou nécessaire de la croissance économique ».

Notre briefing séance d’information débute avec Barrick, l’une des entreprises les plus importantes et les plus influentes du Canada. La  » violation  » que nous détaillons est son rôle dans le viol, la violence et l’incendie criminel à la mine North Mara (Tanzanie), à la mine profonde de Durban Roodepoort (Afrique du Sud) et à la mine d’or Porgera (Papouasie Nouvelle Guinée). Il s’agit d’une série d’actes criminels, de tragédies pour le peuple qui se multiplient alors que l’indifférence du capitalisme va à l’encontre de ses espoirs. Il y a plusieurs décennies, John Bita – un poète de Papouasie-Nouvelle-Guinée – a écrit Song of an Old Woman on Bougainville (1971), une référence à la guerre de Bougainville de 1988 à 1998.

Pleure, pleure, pleure.
Pleure, pleure, pleure.
Nous pensions que ce n’était qu’une pierre
Nous pensions que ce n’était qu’une pierre
Mais il a emporté notre richesse.

Protestation à la mine d’or de Porgera, 2018.
Depuis plusieurs mois, nous étudions la situation à la mine de Porgera et la lutte menée par les habitants de la région organisée autour de l’Association Akali Tange. L’Association a partagé avec nous sa documentation sur la violence de routine, les attaques chimiques contre la population, la violence des gardiens de l’entreprise, la destruction de la communauté. McDiyan Robert Yapari, l’un des dirigeants de l’Association Akali Tange told me, m’a dit :  » Nous avons essayé d’obtenir de l’aide pour exprimer nos griefs afin que chacun sache ce qu’une société minière canadienne – la Barrick Gold Corporation – fait aux communautés autochtones ici à Porgera. Mais, dit-il, leur appel tombe dans l’oreille d’un  » sourd « . Mon rapport résume la situation à Porgera, les procès, les protestations, la nécessité d’obtenir le renouvellement du bail de la mine pour le 12 mai 2019.
Damaso Ogaz, Fasciculo 1975-08-15
Les entreprises canadiennes se battent depuis longtemps contre le gouvernement vénézuélien, depuis que Hugo Chávez a remporté sa première élection en 1999. Plus récemment, la société aurifère canadienne Gold Reserve s’est battue pour avoir accès aux ressources du Venezuela, notamment dans l’État de Bolivar. Chávez avait retiré ces compagnies lorsque les prix du pétrole étaient élevés et que les revenus pétroliers affluaient dans le pays. La Constitution bolivarienne (articles 127, 128 et 129) a mis en place des protections environnementales fortes, et le cinquième objectif stratégique du Plan Intérieur 2013-2019 est de  » préserver la vie de la planète « . Ces protections sont contraires à la politique d’ajustement structurel du FMI, qui sape systématiquement la protection de l’environnement. L’expression utilisée pour décrire de telles protections est l’écosocialisme (notre économiste Ahmet Tonak, de l’Institut tricontinental de recherche sociale, a co-écrit un essai très utile qui répond aux attaques de l’administration Trump contre le socialisme).
Les sociétés minières ne tiennent pas compte de ces préoccupations. Des mots comme démocratie et droits de l’homme sont des obstacles. Les sociétés minières veulent mettre leurs mains dans la terre, arracher la pierre et emporter la richesse. C’est peut-être la raison pour laquelle le Canada est au cœur du Groupe de Lima, désireux de renverser la Constitution bolivarienne, désireux d’expulser ce gouvernement qui a expulsé les peuples autochtones de leurs terres de Papouasie-Nouvelle-Guinée au Chili.

Chaleureusement, Vijay.

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*Traduit par Alexandre Bovey